Chapitre 44
Sorcellerie
Puisque les flammes longeaient les palissades jusqu’aux bâtiments, chacun de leur côté, Christian et Mélissa furent forcés de trouver une façon d’y entrer, afin de se rabattre sur le sorcier que combattait Alexei. Il faisait très noir dans ces constructions où les fenêtres avaient été placardées par les membres de la secte. Christian avança à tâtons, jusqu’à ce qu’il perçoive une lueur sous ce qui semblait être une porte. Il la poussa doucement, regrettant à chaque instant de ne pas être armé, et jeta un coup d’œil à l’intérieur. Quelqu’un était attaché sur un autel entouré de cierges noirs.
— Matthieu ? chuchota le policier en scrutant tous les coins de la pièce.
— Aidez-moi, implora le jeune homme.
L’enquêteur s’approcha de lui à pas calculés, craignant qu’un piège ne se referme sur lui.
— Surtout pas un son, recommanda le policier en détachant ses pieds.
Mélissa déboucha alors dans la même grande salle de rituel.
— Christian ? appela-t-elle à voix basse.
Le policier fit volte-face et vit que c’était sa collègue.
— Ce n’est que moi.
— Viens m’aider.
Ils détachèrent Matthieu, mais l’empêchèrent de prendre ses jambes à son cou.
— Écoute-moi bien, mon homme. Si tu veux sortir d’ici vivant, tu dois faire tout ce qu’on te dit, d’accord ?
Matthieu hocha vivement la tête.
— Mélissa va te conduire jusqu’à ton père.
Sa collègue lui décocha un regard noir, mais jugea préférable de ne pas contredire ses ordres devant le pauvre garçon effrayé.
— En silence, ajouta Christian.
— Ensuite, je reviendrai protéger tes arrières, fit la femme policier glissant ses doigts entre ceux de Matthieu.
— Je vais essayer de trouver une façon de me rendre dans la cour. Dépêche-toi.
Mélissa tira sur la main du jeune homme et l’entraîna vers la sortie. Docile, celui-ci adopta son pas militaire en soufflant comme une locomotive, même lorsqu’ils coururent dans l’étroit couloir entre les flammes et la palissade. Au moment où ils franchissaient les portes, ils entendirent des coups de feu. Mélissa ralentit immédiatement le pas, afin d’évaluer la situation. Devant eux se déroulait un spectacle digne d’un film d’horreur. Tournant sur eux-mêmes, Paul et Sylvain pointaient vers le ciel des armes qu’ils avaient récupérées dans le véhicule de Christian.
— Fonce dans le camion, ordonna Mélissa à Matthieu, et restes-y.
Matthieu fit ce que la femme policier lui avait demandé tandis qu’elle poursuivait son chemin jusqu’au coffre arrière. Elle en sortit une carabine de précision, l’arma et planta solidement ses pieds dans le sol. Tandis que les deux hommes tiraient à l’aveuglette sur les deux rôdeurs qui effectuaient des acrobaties aériennes plutôt impressionnantes, la jeune femme ne pressa la détente que deux fois. Les deux affreuses créatures s’abattirent sur le sol à quelques mètres d’eux.
— Ça alors ! s’exclama Sylvain, renversé.
— Merci, madame Dalpé, fit Paul, haletant. Il y a si longtemps que je n’ai pas chassé que je ne sais même plus comment abattre du gibier.
— Matthieu est dans la voiture, leur apprit Mélissa en fouillant parmi les armes. Fuyez !
Elle trouva des pistolets qu’elle enfonça dans ses poches, puis referma le coffre du camion.
— Mais vous : protesta Sylvain. Et Christian ? Et Alexei ?
— Les renforts vont bientôt arriver. Allez-vous-en d’ici pendant que vous le pouvez !
Paul se précipita derrière le volant au moment où Mélissa poussait le journaliste vers la portière du passager. La femme policier n’attendit pas qu’ils partent. Elle fit demi-tour et fonça vers la forteresse avec son téléphone cellulaire.
— Il y a quelqu’un ? demanda-t-elle en s’engouffrant derrière les flammes.
— Inspecteur Dalpé ? s’étonna son interlocuteur.
— Dites-moi que vous nous avez déjà envoyé des unités.
— Le chef a communiqué avec les unités de Saint-Jérôme.
— Dites-leur de se hâter !
Elle remit l’appareil dans sa poche et tendit l’oreille, à la recherche de son coéquipier. Elle dépassa l’entrée de la grande salle de rituel et vit une silhouette se découpant dans la lumière extérieure qui se faufilait au bout du corridor. Elle connaissait suffisamment la carrure de son amant pour savoir que c’était lui.
— Christian, c’est moi, chuchota-t-elle en s’approchant.
Elle déposa une arme dans sa main.
— As-tu un plan ?
— Que dirais-tu de foncer et de le cribler de balles ?
— Il ne faudrait pas tuer Alexei en même temps.
— As-tu une autre idée ?
— Il serait préférable que nous ne sortions pas en même temps. Pendant qu’il s’en prendra à l’un de nous, l’autre pourra le descendre… à moins qu’un monstre comme lui soit immortel.
— Personne n’est immortel. J’irai le premier.
— Bonne chance, Pelletier.
— J’ai une bonne étoile.
Christian inspira profondément et avança le plus silencieusement possible en serrant les deux mains sur le pistolet automatique. Il n’avait jamais tiré sur qui que ce soit dans le dos, mais il n’hésiterait pas une seule seconde dans le cas de Desjardins. Au lieu de se diriger directement derrière lui, il marcha un peu sur le côté afin de voir Alexei. Christian serra les dents et pressa sur la détente. Le Faucheur projeta son bras derrière lui et se retourna. Son visage était si hideux que le policier ne le reconnut pas. Avec un rictus cruel, le sorcier ouvrit la main et laissa tomber la balle du pistolet sur le sol. Christian vida alors tout le chargeur de son arme sur le procureur, mais celui-ci resta debout, à le regarder à la manière d’un prédateur attendant que sa proie fasse le premier geste.
Pendant le court duel, Mélissa avait réussi à sortir de la bâtisse sans se faire remarquer. Elle avait longé le mur, afin d’attaquer le meurtrier d’un angle différent. C’est alors qu’elle avait vu Danielle attachée sur l’autel en plein air et Alexei enchaîné sur le sol. Lorsque Christian avait ouvert un feu nourri sur Desjardins, la femme policier avait vraiment cru que cette vilaine affaire venait de se terminer. Tout comme son collègue, elle n’en crut pas ses yeux en constatant que leur cible était toujours debout.
— Commencez-vous à croire à la sorcellerie, monsieur Pelletier ? railla le Faucheur.
— Vous n’êtes pas un être humain… s’étrangla Christian. Vous êtes le diable lui-même.
— Me ferez-vous l’honneur de vous joindre à monsieur Kalinovsky et à madame Dalpé ?
Les deux policiers sentirent des mains invisibles leur serrer la gorge et les obliger à marcher jusqu’à Alexei. Aussitôt, leurs poignets furent emprisonnés dans des bracelets métalliques rattachés à des chaînes.
— Vous n’auriez pas dû revenir, murmura Alexei.
— Parce que tu as la situation bien en main, je présume, grommela Christian.
— Au lieu de nous mettre en colère, cherchons une issue, conseilla Mélissa.
Sans plus s’occuper d’eux, Desjardins se mit à réciter des phrases incompréhensibles dans une langue qui ressemblait à du latin.
* * *
Paul conduisit le véhicule à une vitesse vertigineuse jusque chez les Kalinovsky. Il en descendit, ouvrit la portière arrière et saisit son fils par les manches. Il étreignit Matthieu pendant de longues minutes, avant de lui demander s’il était blessé.
— Je n’ai rien… hoqueta le jeune homme éprouvé.
Louise sortit de la maison et, à son tour, serra son fils dans ses bras.
— Dieu soit loué, pleura la mère.
Puis, ce fut au tour d’Alexanne. Les jeunes gens s’embrassèrent sans la moindre gêne devant les adultes.
— Où sont les autres ? demanda-t-elle, une fois rassurée.
— Ils sont toujours là-bas, répondit Sylvain. Mélissa a déjà demandé des renforts. J’espère de tout cœur qu’ils ne tarderont pas.
— Je vais m’en assurer, déclara Matthieu, qui reprenait du teint.
D’un pas résolu, il grimpa sur le porche et entra dans la maison.
— Il est secoué, leur rappela Sylvain. Ne le laissez pas seul.
Alexanne réagit la première, immédiatement suivie des parents. Le journaliste demeura seul près du camion, à intégrer tout ce qu’il avait vu. Tatiana le rejoignit un instant plus tard.
— Je n’ai pas voulu alarmer les autres, mais je ne trouve plus Danielle, lui révéla-t-elle.
— Je ne l’ai pas vue à la forteresse, mais ça ne veut pas dire qu’elle n’y est pas, parce que nous ne sommes pas allés assez loin à l’intérieur. Ne pouvez-vous pas vous servir de vos pouvoirs pour vérifier si elle y est ?
— Une énergie maléfique m’en bloque l’accès.
— Que pouvons-nous faire, madame Kalinovsky ?
— J’envoie de l’énergie sur la montagne depuis plusieurs heures sans résultat.
Pendant qu’au téléphone, Matthieu expliquait aux policiers ce qui lui était arrivé, Alexanne sonda le cœur de Paul, puis celui de Sylvain. Ils faisaient de gros efforts pour ne pas alarmer les femmes, mais ils étaient morts de peur. Contrairement à ce qu’ils disaient, la balance ne penchait pas du tout en faveur d’Alexei.
Alexanne s’isola dans le vestibule et tenta de communiquer avec l’esprit de son oncle. Tout comme Tatiana, elle se heurta à un mur de glace. « Il est prisonnier et il ne fait rien pour se libérer », devina-t-elle. Elle s’assura que personne ne la surveillait et grimpa à la chambre d’Alexei. Le sac à main de Danielle était sur la commode. Elle fouilla à l’intérieur et trouva les clés de sa voiture. Elle redescendit sans faire de bruit et sortit dans la cour.
— Où vas-tu comme ça ?
L’adolescente fit volte-face et trouva devant son nez la petite fée blonde qui faisait du sur-place, les pétales de sa robe rouge volant au vent.
— Si tu me dénonces, je t’enfermerai dans un bocal et je te lancerai dans la rivière, la menaça Alexanne.
— Il ne fera qu’une bouchée de toi.
— Je suis une fée.
— Ton oncle aussi.
Alexanne la chassa de la main et continua en direction de l’entrée.
— C’est du suicide ! s’écria la minuscule fée.
— S’il meurt, je mourrai aussi, Coquelicot.
S’assurant qu’il n’y avait plus personne devant la maison, l’adolescente se rendit à la voiture sur la pointe des pieds et se glissa derrière le volant. Elle trouva l’ignition et essaya toutes les clés du trousseau, avant de trouver celle qui ferait enfin démarrer le véhicule. La portière du côté opposé s’ouvrit, la faisant sursauter. Valéri Sonolovitch s’assit sur le siège du passager.
— As-tu déjà conduit une voiture ? demanda le vieil homme.
— Non…
— Moi non plus. Alors, essaie d’éviter les arbres.
Alexanne mit le moteur en marche.